«وَكَانَ فَضْلُ اللَّهِ عَلَيْكَ عَظِيمًا»

      Pour une sémiotique de la politique mensonge

La première préoccupation du locuteur politique est d'établir un contact avec son interlocuteur, puis de le maintenir et enfin de produire un effet espéré sur son public. Il y a à l'origine de cette préoccupation la volonté de séduire et faire croire que les « discours » énoncées le sont dans l'intérêt du destinataire. Le mensonge au cœur de chaque discours se réfère alors dans l'esprit de son énonciateur à une valeur supérieure à la valeur de la vérité, valeur que le destinataire doit finir par partager pour agir en conséquence. C'est-à-dire que le mensonge, à la façon du message publicitaire, doit séduire et présenter des perspectives radieuses à place des réalités du contexte de leur énonciation.

Cet article aborde l'utopie du mensonge chez Donald Trump à travers l'analyse sémio-critique de quelques déclarations politiques dans les médias. La sémio-critique peut se lire non pas seulement comme une analyse sémiotique du discours politique de Donald Trump mais aussi comme une analyse critique de son discours mensonger. L'approche que nous proposons comme piste de recherche s'appuie sur une critique des relations entre discours mensonger et réalité. Selon Aage BRANDT[1] :

«La sémiotique du discours s'efforce surtout de développer des analyses critiques visant les principes d'autorité ou de vérité dont se réclame chaque sorte de discours.»[2]

Les productions sémiotiques qui fondent et déterminent l'identité du locuteur politique, sont souvent l'expression de la volonté de puissance poussée à l'extrême. Dans le dictionnaire raisonné de la théorie du langage, A.J. Greimas et J. Courtès définissent l'objet d'une sémiotique « comme un ensemble signifiant que l'on soupçonne à titre d'hypothèse de posséder une organisation, une articulation interne autonome.» (Greimas & Courtés 1979 :339)

L'utopie qui déjà éloigne de la réalité peut alors aller jusqu'à tourner au mensonge.[3] C'est sous cet angle que nous proposerons de voir dans quelle mesure le locuteur politique adopte ce principe de « pouvoir politique». Ce pouvoir participe à une logique figurative tout à fait particulière. La transmission intentionnelle de cette utopie revêt un enjeu particulièrement important dans notre contexte actuel.[4]

Partant de l'idée que le « pouvoir centralisé et absolu» est basé sur une utopie corrompue et mensongère par excellence, les déclarations politiques les plus erronées ouvrent de nouvelles perspectives toujours envisageables si les destinataires tombent dans le piège en adhérant lui-même à ces utopies :

« Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument. » (Hannah Arendt, 1995 : 171)

Le travail que nous réalisons a pour but de préciser que l'utopie du mensonge du président américain face au coronavirus est un tout de signification qui institue des corrélations utopiques particulières entre le plan de l'expression et le plan du contenu via son discours politique :

«Si le mensonge en politique n'a rien d'inédit, les journalistes n'ont cessé d'affirmer que les mensonges de Trump éclipsaient ceux de tous les autres. Après vérification des faits, trois journaux – le Tampa Bay Times avec PolitiFact, le Toronto Star avec Trump Check et le Washington Post avec Fact-Checker's Pinocchio Count – ont montré que les fausses allégations de Trump avaient de loin surpassé celles de tous les autres candidats à l'élection présidentielle de 2016.»[5]

A noter que l'énonciateur Trump a joué un rôle-clé pour faire émerger des idées fausses présentées comme vraies :

«Le mensonge est souvent plus plausible, plus tentant pour la raison que la réalité, car le menteur possède le grand avantage de savoir d'avance ce que le public souhaite entendre ou s'attend à entendre. Sa version a été préparée à l'intention du public, en s'attachant tout particulièrement à la crédibilité, tandis que la réalité a cette habitude déconcertante de nous mettre en présence de l'inattendu, auquel nous n'étions nullement préparés.»[6]

Notre étude sémiotique montre que les valeurs thématiques sont bien présentes et rendent compte du facteur situationnel qui apparaît bien différent selon chaque situation d'énonciation. Nous allons nous consacrer à un corpus qui se limite à une lecture utopique et figurative du discours mensonger : il faut pour cela en extraire des exemples qui nous permettront de mettre en évidence des variétés figuratives du mensonge qui prend l'apparence de la vérité.

Il nous faut d'abord préciser qu'avant de parler des utopies « trumpiennes » qui comme toutes les utopies sont tournées vers l'avenir, l'énonciateur Trump se présente comme illustrant le mythe de l'américain moyen, disons-le, le mythe du cow-boy, et ce mythe, comme tous les mythes, est tourné vers le passé, ce qui fut très bien analysé par Levi-Strauss dans La pensée sauvage :

«Le système mythique et les représentations qu'il met en œuvre servent donc à établir des rapports d'homologie entre les conditions naturelles et les conditions sociales, ou, plus exactement, à définir une loi d'équivalence entre des contrastes significatifs qui se situent sur plusieurs plans : géographique, météorologique, zoologique, botanique, technique, économique, social, rituel, religieux, et philosophique.» (Levi-Strauss, 1962, 123)

Il nous semble que notre locuteur est un conservateur ultra qui prétend tracer la voie de l'avenir des Etats-Unis, d'où une situation contradictoire comme fondement de tout discours de notre locuteur.

La sémiotique du discours mensonger réside dans «les modes spécifiques de sa manifestation, sur les conditions de ses productions et sur les critères qui le distinguent des autres formes du savoir» (Greimas 1976:134-135). Quant à l'emploi massif des figures mensongères chez l'énonciateur Donald Trump, il suscite de vifs débats qui mettent en jeu la situation d'énonciation discursive et la valeur thématique qui entourent son discours. Nous pensons que le non-respect par notre locuteur des recommandations scientifiques doit être analysé à partir d'une lecture figurative et utopique du discours mensonger qui s'emploie comme à la base de l'objet d'une sémiotique de la manipulation.

Nous allons proposer un texte assez riche tant au niveau des éléments figuratifs qu'à celui des fonctions thématiques. Nous allons réfléchir sur la fonction du mensonge dans les stratégies trumpiennes du pouvoir ; celui du patriotisme, plus particulièrement. Une réflexion sur les paramètres qui conditionnent ce discours permet de concevoir une tendance qui donne à ces figures leur particularité si forte développée dans la bouche de l'énonciateur Trump, et qui se constitue tout au long du développement discursif.

Pour le choix du sujet de notre article, nous remarquons que le mensonge en politique nous permet d'observer sur quoi repose les stratégies trumpiennes. Notre méthode pour le mensonge en politique s'inspire de la méthodologie immanente de Hjelmslev telle que vue par Greimas.[7] Cet article se situe donc dans une perspective utopique et s'inspire d'une méthodologie Greimassienne d'analyse sémiotique pour identifier la dimension figurative du discours politique :

« Greimas répétait souvent que sa sémiotique constituait un « projet » plutôt qu'une théorie arrêtée, qu'elle devait constamment offrir de nouveaux modèles et concepts aux sciences humaines et qu'elle impliquait un travail collectif de longue haleine s'étalant sur plusieurs générations. »[8]

Bien que cet article soit développé dans un contexte spécifique à un acte illocutoire précis, notre analyse prenant en compte une double dimension de production discursive conforte la méthodologie Greimassienne qui s'organise autour du lien entre le plan de l'expression et le plan du contenu. La réunion de ces deux plans est la condition nécessaire pour la formation de tout discours, y compris le discours mensonger.


Notes

[1] https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/656, (consulté le 29 janvier 2022).

2 Aage BRANDT, « Qu'est-ce que la sémiotique ? Une introduction à l'usage des non-initiés courageux », Actes Sémiotiques [En ligne], 121, 2018, consulté le 28/01/2022, URL : https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/5961, DOI : 10.25965/as.5961

3 «Affirmer sans savoir, savoir et ne pas admettre, cacher des vérités, nier des réalités, douter publiquement de certitudes que l'on sait, et s'en tenir à des croyances pour les substituer à des évidences : l'éventail politique des attitudes aura été vaste et varié face à la pandémie du Covid-19. » Mensonges politiques et pandémie - Joseph Maïla Disponible sur https://www.revue-etudes.com/article/mensonges-politiques-et-pandemie-joseph-maila-22618 , (consulté le 1 mai 2021).

4 « Pour tenter de comprendre le phénomène Trump les médias sortent leur calculette. En octobre, le site PolitiFact avait calculé que 71 % de 300 déclarations dites « d'importance » étaient complètement ou à peu près fausses, et 14 % « à moitié vraies ». La liste inclut les mensonges évidents, les statistiques erronées, les attaques biaisées contre des opposants et les exagérations de ses propres réussites.» Disponible sur https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/484015/l-art-de-la-faussete-selon-donald-trump, (consulté le 2 mai 2021).

5 McGranahan Carole, van Effenterre Marie, « Une anthropologie du mensonge : Trump et la socialité politique de l'indignation morale, » Monde commun, 2019/1 (N° 2), p. 120-136. DOI : 10.3917/moco.002.0120. URL : https://www.cairn.info/revue-monde-commun-2019-1-page-120.htm, (consulté le 3 mai 2021).

6 Hannah Arendt, DU MENSONGE EN POLITIQUE, N° 49 25 Mars 2015, Disponible sur https://le1hebdo.fr/journal/politique-pourquoi-ils-mentent/49/article/du-mensonge-en-politique-830.html, (consulté le 30 mai 2021).

7 «Entre Hjelmslev et Greimas, il y a bien une continuité. Seulement, il ne faut pas la chercher directement dans la reconduction par Greimas du projet linguistique de la glossématique, mais bien dans la réflexion épistémologique de Hjelmslev, lorsque celui-ci conçoit la sémiotique comme une sémiotique universelle avec des sémiotiques spécifiques.» Driss Ablali, « Hjelmslev et Greimas : deux sémiotiques universelles différentes », Linx [En ligne], 44 | 2001, mis en ligne le 05 juillet 2012, consulté le 15 janvier 2022. URL: https://journals.openedition.org/linx/1031 ; DOI : https://doi.org/10.4000/linx.1031.

8 Broden, Thomas. La sémiotique greimassienne et la sémiotique peircienne : Visées, principes et théories du signe. Estudos Semióticos. [on-line] Disponível em: h https://revistas.usp.br/esse i. Editores Responsáveis: Ivã Carlos Lopes e José Américo Bezerra Saraiva. Volume 10, Número 2, São Paulo, Dezembro de 2014, p. 1–16. Acesso em "dia/mês/ano".


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