Les caractéristiques discursives du discours politique
Nous ferons une première distinction entre un acte de langage généralisé (qui donnerait un aspect formel à la stratégie communicative d'Obama) et le langage spécialisé, que nous avons choisi, idéologique, où le destinateur individuel (Obama) ne trouve sa force illocutoire que dans les relations qu'il entretient avec le destinataire collectif (le monde musulman). De même à l'intérieur de ce langage spécialisé, il nous faut introduire une autre distinction entre un langage qui relèverait des pratiques langagières[1] se manifestant dans un discours d'action en prise sur les actualités, et un autre discours qui dépendrait des énoncés incitatifs permettant de saisir les intentions du destinateur individuel (Obama).
Notre locuteur donne de manière intentionnelle les grandes lignes directrices de sa politique. Il n'est pas surprenant de retrouver dans ce type de discours un langage spécialisé s'actualisant par un lexique lui conférant un contenu idéologique. Pour A. Martinet, "le choix du locuteur revêt une importance fondamentale. Un énoncé n'a de sens que si sa production ne dépend pas entièrement de la situation, mais nécessite de la part du locuteur une décision, un choix entre plusieurs éléments d'un ensemble, au cours du processus de l'énonciation."[2]
En voici un exemple :
«Je suis venu ici au Caire en quête d'un nouveau départ pour les États- Unis et les musulmans du monde entier. »Il est évident que le choix du Caire lui apparaît comme le lieu privilégié du regard sur le monde arabo-musulman. Lieu de convergence de multiples choix politiques auxquels le locuteur est capable de fournir des réponses. C'est un lieu porteur de significations sociales. Pour Klinkenberg, «la disposition des lieux signifie donc leur appartenance à une culture donnée, en même temps qu'elle impose au sujet une certaine manière de s'approprier l'espace. »[3]
Le discours d'Obama s'ouvre sur un énoncé intentionnellement marqué : «Salamm aleïkoum. »[4] Pour illustrer cela, nous nous référons à un extrait de son discours où il est question d'un langage spécialisé fonctionnant comme un code socioculturel :
«Je suis fier aussi de vous transmettre la bonne volonté du peuple américain et une salutation de paix de la part des communautés musulmanes de mon pays : "Salamm aleïkoum.»
Le fait d'employer l'énoncé incitatif «Salamm aleïkoum» permet au locuteur de clarifier son choix interprétatif et de faire entrer ses destinataires dans l'atmosphère de ce langage spécialisé. Un langage de ce type est intéressant dans la mesure où le locuteur se sert du mariage entre la bonne volonté du peuple américain et une salutation de paix de la part des communautés musulmanes pour nous proposer le principe qui suit :
« L'Amérique et l'islam se recoupent et se nourrissent de principes communs, c'est-à- dire la justice et le progrès, la tolérance et la dignité de chaque être humain. »
Mettre en pratique un langage idéologique devient alors le ressort principal de la politique d'Obama dans une capitale islamique. Le fonctionnement idéologique de ce discours nous permet de rendre compte de la fonction conative qui pousse le locuteur à choisir une stratégie communicative, surtout lorsque celle-ci revêt une valeur intentionnelle qui relève d'un respect pour l'héritage musulman. Pour Klinkenberg, le discours se définit essentiellement par sa fonction conative. Celle-ci vise à « modifier le stock des connaissances ou des croyances du récepteur. »[5]
Nous nous posons alors la question de savoir comment se fait l'accès au sens d'un discours contenant un langage à caractère idéologique spécifique, pour le destinataire arabe et musulman, puisque c'est à ce dernier que le discours s'adresse. Pour ce faire, nous allons étudier les différentes locutions à connotation idéologique adoptées par les destinataires dans le cas des textes contenant des notions qui renferment des traits langagiers que nous avons appelés langage de l'idéologie. En réalité, il s'agit d'une stratégie qui reflète la pensée de Obama comme l'illustrer ce qui suit :
« Féru d'histoire, je sais aussi la dette que la civilisation doit à l'islam. C'est l'islam - dans des lieux tels qu'Al-Azhar - qui a brandi le flambeau du savoir pendant de nombreux siècles et ouvert la voie à la Renaissance et au Siècle des Lumières en Europe. C'est de l'innovation au sein des communautés musulmanes, c'est de l'innovation au sein des communautés musulmanes que nous viennent l'algèbre, le compas et les outils de navigation, notre maîtrise de l'écriture et de l'imprimerie, notre compréhension des mécanismes de propagation des maladies et des moyens de les guérir. La culture islamique nous a donné la majesté des arcs et l'élan des flèches de pierre vers le ciel, l'immortalité de la poésie et l'inspiration de la musique, l'élégance de la calligraphie et la sérénité des lieux de contemplation. Et tout au long de l'histoire, l'islam a donné la preuve, en mots et en actes, des possibilités de la tolérance religieuse et de l'égalité raciale. »
Sur le plan de l'expression, l'effet suggestif que produit la succession de ces enchaînements de quelques locutions sur le récepteur semble d'une importance considérable puisque, dans le cadre de ce discours, ces locutions évoquent une résonance pour le destinataire : «la dette que la civilisation doit à l'islam», «Al- Azhar»[6], «des communautés musulmanes», «La culture islamique». Compte tenu des variétés figuratives qu'entretient ce passage, il nous paraît clair que ces locutions semblent un moyen utile de communication entre le locuteur et le destinataire.
Il est vrai que le sens n'échappe pas au vouloir-dire du locuteur et que le destinataire joue un rôle important dans le processus interprétatif. De ce point de vue, la fréquence de termes positivement et intentionnellement connotés dans le discours d'Obama justifie les intentions originelles du locuteur. Celui-ci parle abondamment des «musulmans» (38,30%) et de l'«islam» (65,22%) en termes positifs car il souhaite réduire la «tension entre les États-Unis et les musulmans du monde entier». Il va plus loin en disant que «les tensions ont été nourries par le colonialisme» et par la «guerre froide qui s'est trop souvent déroulée par acteurs interposés».[7]
Ce qui est à remarquer de nouveau, ce sont des locutions relevant du plan énonciatif. Le locuteur donne la position qui suit :
« Mais il faut choisir le bon chemin, et non le plus facile. Il y a une règle essentielle qui sous-tend toutes les religions : celle de traiter les autres comme nous aimerions être traités. Cette vérité transcende les nations et les peuples. C'est une croyance qui n'est pas nouvelle, qui n'est ni noire ni blanche ni basanée, qui n'est ni chrétienne ni musulmane ni juive. C'est une fois qui a animé le berceau de la civilisation et qui bat encore dans le cœur de milliards d'êtres humains. C'est la foi dans autrui et c'est ce qui m'a mené ici aujourd'hui. »
Signalons dans ce passage qu'il y a une locution religieuse propre à la culture arabo-musulmane : «traiter les autres comme nous aimerions être traités. » Cette formule fait partie de locutions à connotation idéologique qui répondent à des codes spécifiquement religieux. L'examen de la syntaxe révèle un énoncé presque court qui exprime comme une loyauté dans le sentiment et un bon conseil. À la brièveté de cet énoncé s'ajoute sa valeur expressive marquée par la présence de verbes "traiter" et "aimer", qui peuvent être considérés en l'occurrence comme faisant référence à la parole du prophète Mohammad :
«Aucun d'entre vous ne peut se prétendre croyant jusqu'à ce qu'il aime pour son frère (ou prochain) ce qu'il aime pour lui-même. »[8]
En s'exprimant par des éléments énonciatifs, le locuteur use de quelques locutions qui ont pour fin de faire entrer le destinataire dans l'atmosphère de l'univers religieux : « toutes les religions», « C'est une croyance », «C'est une fois » et « C'est la foi ». Il s'ensuit que le locuteur reproduit le registre religieux que connote l'expression arabe, ce qui nous fait penser à la tendance plus ou moins consciente consistant à interpréter le langage de l'idéologie en fonction de la valeur intentionnelle que provoque le sens de l'énoncé. Sachons qu'un langage de l'idéologie vaut par lui-même et dépasse son locuteur pour s'enraciner dans l'environnement socioculturel.
À travers une stratégie politique, Obama exploite le support idéologique selon une perspective fondée sur le pouvoir faire que ce soit au niveau argumentatif ou intentionnel. Une telle stratégie conduira le destinataire à se demander si son argumentation contribue à la démocratie au moyen orient et dans le monde musulman, que le média est censé promouvoir.
Notes
1 On désigne par pratiques langagières cette variation dans les usages du langage en fonction des groupes sociaux. Cf. DUBOIS J.,Grand Dictionnaire,Linguistique et Science du Langage, Paris, Larousse, 2007, P. 265.
2 C. Baylon et P. Fabre, Initiation à la linguistique, Fernand Nathan, France, 1975, P. 109.
3 J. M. Klinkenberg, Précis de sémiotique générale, de Boeck Université, France, P. 89.
4 Ce vocable « Salamm » (la paix) désigne en arabe à la fois un nom et un attribue de Dieu. « Il est bon que celui qui salue le premier dise :"Salut et paix à vous ainsi que la miséricorde de Dieu et Ses bénédictions !" Cf. Mohieddin Annawawi, Les Jardins des vertueux, traduction et commentaire du Salaheddind Keshrid, Beyrouth, Dar al-Gharb al-Islami, 1994, p. 228.
5 J. M. Klinkenberg, Précis de sémiotique générale, Op. cit., P. 54.
6 L'université al-Azhar a été fondée au Caire après la construction de la mosquée en 969 selon le calendrier chrétien (358 selon le calendrier musulman). Trois ans et demi après sa construction, la mosquée commence à jouer son rôle dans la diffusion et l'enseignement des sciences islamiques. Al- Azhar est la principale université d'étude de l'islam. (En ligne sur www.fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_al-Azhar)
7 Monde en question, analyse de l'actualité économique, politique et sociale dans le monde, analyse dudiscours de Obama, 11 juin 2009 (En ligne sur www.mondeenquestion.blogspot.com/2009/06/tournant- au-moyen-orient-4.html)
8 Annawawi M., Les Jardins des vertueux, op. cit., p. 61.