Selon la sémiotique greimassienne, la dimension narrative des textes nous permet de « présenter le texte sous la forme canonique d'énoncés narratifs comportant chacun une fonction suivie d'un ou de plusieurs actants » (Greimas, 1970 :198). C'est pourquoi nous nous attarderons sur les aspects de la structure sémio-narrative de l'utopie du mensonge en vue de délimiter la configuration du texte narratif dans sa dimension politique. Selon Greimas et Courtés, le texte narratif «manifeste une succession d'états et de transformations, il s'analyse en termes d'énoncés d'état et d'énoncés de faire». (Greimas & Courtés 1986 : 73)
Puisque notre hypothèse de départ montre que l'utopie de la politique américaine est avant tout un récit inventé[1], nous allons nous interroger sur l'aspect descriptif de l'utopie du mensonge qui comporte des éléments du monde irréel. Les perspectives trumpiennes sont-elles immorales ? Se poser cette question c'est se demander si le président en question a considéré qu'il répondait à cet impératif catégorique du philosophe Kant :
« Agis de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen.»[2]
C'est sans doute une des réflexions les plus subtiles et les plus humanistes du siècle des Lumières, mais à écouter l'énonciateur Trump on peut penser qu'il confond souvent les moyens et la fin. L'univers politique chez notre locuteur qui se représente par l'insuffisance de la réalité est réuni par l'utopie du mensonge en faisant l'association entre la déformation du réel dans et par ses déclarations politiques et l'incrédibilité des informations fournies par cet acteur politique lui-même. Ainsi son parcours politique trouve sa réalisation en expression verbale grâce à l'utopie du mensonge.
Dans cette lecture figurative et utopique, le discours mensonger de notre acteur politique est segmenté entre deux stratégies : l'amour du mensonge et le mensonge par amour. Elle est exclusivement orientée vers l'un de ces deux thèmes de mensonges.
Selon la théorie politique d'Hannah Arendt, nous constatons que le thème du mensonge suscite d'emblée une interprétation politique de la pensée trumpienne:
« Si l'on dépasse cet espace du politique – qui, en tant que tel, réalisait et garantissait aussi bien la réalité, telle qu'elle était débattue et attestée par la pluralité, que la liberté de tous – la seule question qui se pose encore est celle d'un sens qui résiderait au-delà de la sphère politique, si, comme l'ont fait les philosophes dans la polis, on privilégie le commerce avec le petit nombre par rapport au commerce avec la multitude et si l'on est convaincu que la libre discussion à propos de quoi que ce soit produit non plus la réalité mais la tromperie, non plus la vérité mais le mensonge. » (Arendt, 1995, 75)
C'est là sans doute qu'il faut mettre en relief la valeur de la réalité mythique, c'est-à-dire le regard vers le passé pour expliquer le présent, même si l'on oublie ou modifie pour les besoins de la cause des séquences de l'Histoire en même temps qu'on en exalte d'autres.
En nous excusant de donner dans la caricature, nous constatons que l'énonciateur Trump se présente comme le Cow-boy,[3] un cow-boy qui s'adresse aux peuples des cow-boys, lequel représenterait à lui seul les États Unis. D'où l'attaque du Capitole[4], c'est-à-dire l'attaque d'un bâtiment mythique, au nom mythique, le but de cette attaque étant de prolonger le mythe de l'Amérique forte et guerrière dans le présent. Voilà l'exemple significatif d'un mensonge édifiant qui symbolise à lui seul ce qu'est l'homme politique qui encouragera plus tard ses partisans à envahir le Capitole. Or qui va contre les codes et les mythes d'une société mérite la sanction.
Nous présentons un des rares extraits parmi les plus discutés sur les médias. Soulignerons dans le passage suivant une pratique politique trompeuse[5] en ce qu'elle nous permet d'alerter sur les dangers de la diffusion d'un jugement sans justification. Les questions qui se posent sont les suivantes : Pourquoi le problème de l'interaction médiatique de la crédibilité et de l'incrédibilité est-t-il apparu ? L'une des particularités paradoxales de ses convictions politiques consiste en ce que son discours ici n'annonce rien de nouveau :
«Les médias ne disent pas la vérité puisqu'ils ne représentent pas le peuple.»[6]
Bien sûr, pour notre locuteur il n'existe qu'un seul parcours figuratif du peuple, celui qui lui ressemble ! Ces deux parcours figuratifs divergent sur le plan de l'expression et se ressemblent sur le plan du contenu là où il y a des indications au sujet de médias. C'est à travers les deux plans que nous pouvons distinguer le parcours figuratif de Trump et le rôle thématique qu'il joue devant son peuple.
Ce jugement donne un bon aperçu de ce que le locuteur réalise au cours de sa déclaration verbale : son parcours figuratif est produit avec une logique de la signification conçue pour faire un gain aux dépens des destinataires qui ne pensent pas comme lui. Mais à cette faiblesse apparente du jugement du locuteur s'oppose la force des médias et d'une partie du peuple. Car il ne faut pas oublier que Trump a persuadé ses électeurs qu'on leur avait volé la victoire. Nous estimons que notre locuteur avait eu recours au mensonge pour nous convaincre et nous pousser à agir, ce qui entraîne un manque de cohérence du son discours. Nous constatons, avec L. Panier, que «la sémiotique fait l'hypothèse que ce qui fait la cohérence d'un texte, ce n'est pas le caractère vraisemblable de l'histoire racontée ni l'intention supposée de l'auteur, mais la mise en œuvre d'une logique de la signification, dont on cherche justement à rendre compte. Cette loi est sémiotique, car c'est une loi de construction du sens, et non pas une règle d'agencement de mots ou de phrases. »[7]
N'oublions pas que le locuteur a fait fonctionner une logique de la signification historico-mythique des États-Unis pour justifier l'utopie[8], c'est-à-dire le projet de société vers lequel il voulait les conduire. Mais ce projet, paradoxalement, ne propose pas une amélioration des conditions de vie des plus pauvres. Il relève au contraire d'une volonté conservatrice de maintenir les choses en l'état.
Il est intéressant de remarquer que la valeur thématique qui entoure la dimension figurativedu discours mensonger peut se multiplier et se complexifier. Considérons le texte suivant :
« Je vois que le désinfectant l'assomme (le coronavirus) en une minute. Une minute. Et est-ce qu'il y a un moyen de faire quelque chose comme ça avec une injection à l'intérieur ou presque comme un nettoyage ? »[9]
Afin de rendre accessible ce message utopique, c'est-à-dire un message tourné vers l'avenir, le locuteur se situe sur l'isotopie de la prévention qui évoque de manière imprécise l'opposition infection/non infection. La question qui se pose est la suivante : Pourquoi le locuteur laisse-t-il ce mensonge perdurer au fil de l'évolution de la crise sanitaire ?
L'univers politique chez notre locuteur durant la crise sanitaire désigne restrictivement une caractéristique d'une action de prévention du point de vue du plan de l'expression. Nous pensons donc à une tendance plus ou moins consciente consistant à interpréter son discours mensonger selon le plan du contenu mensonger et en fonction de ce qu'il cache. C'est l'idée qui se cache dans la tête du locuteur et qui suscite des interprétations bien distinctes.
Est-ce que c'est un mensonge par ignorance[10] ? Ou bien c'est un mensonge de toute bonne foi ? Comment différencier un discours figuratif mensonger d'un autre discours dit par ignorance ? Sachons que le discours mensonger vaut par lui-même et dépasse son auteur pour s'enraciner dans l'environnement sociopolitique. À signaler que cette utopie mensongère permet aussi de nous faire comprendre comment le locuteur va modifier son discours mensonger au fur et à mesure du déroulement des déclarations qu'il produit :
« Il a ensuite précisé qu'il parlait « du nettoyage et de la stérilisation de certaines surfaces ». Mais la confusion était semée.»[11]
À savoir qu'une intoxication peut se produire quand une substance injectable est ingérée sous n'importe quelle forme. Tandis que les autorités sanitaires affirment que ces désinfectants peuvent être toxiques s'ils sont ingérés, «le président américain Donald Trump a été critiqué par la communauté médicale après avoir suggéré de mener des recherches pour savoir si le coronavirus pouvait être traité par injection de désinfectant dans le corps. »[12]
Notes
1 Ce faisant, nous nous référons à l'article d'Ignacio Ramonet relatif aux mensonges concernant les Armes d'intoxication massive, Mensonges d'Etat, «Ainsi, pendant plus de six mois, pour justifier une guerre préventive dont ni les Nations unies ni l'opinion mondiale ne voulaient, une véritable machine de propagande et d'intoxication pilotée par la secte doctrinaire qui entoure M. Bush a répandu des mensonges d'Etat avec une outrecuidance propre aux régimes les plus détestés du XXe siècle. Ils s'inscrivent dans une longue tradition de mensonges d'Etat qui jalonne l'histoire des Etats-Unis. L'un des plus cyniques concerne la destruction du cuirassé américain Maine dans la baie de La Havane en 1898, qui servit de prétexte à l'entrée en guerre des Etats-Unis contre l'Espagne et à l'annexion de Cuba, Porto Rico, les Philippines et l'île de Guam.» Disponible sur https://www.monde-diplomatique.fr/2003/07/RAMONET/10193, (consulté le 6 mai 2021). On peut aussi se référer à Claude Lévesque qui écrit dans le journal le devoir «Irak : Bush et son équipe ont menti 935 fois.» Disponible sur https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/173050/irak-bush-et-son-equipe-ont-menti-935-fois, (consulté le 6 mai 2021).
2 Emmanuel Kant, Disponible sur https://www.dicocitations.com/citations/citation-93465.php, (consulté le 7 mai 2021).
3 «Le mythe du cowboy occupe une place centrale dans l'imaginaire américain. Cette figure qui a valeur d'archétype est de fait liée aux fondements mêmes de l'Amérique, c'est-à-dire à la notion de nouvelle frontière et de conquête d'un gigantesque territoire sans cesse repoussé vers l'Ouest. » Disponible sur https://www.erudit.org/en/journals/images/2018-n186-images03609/87963ac.pdf, (consulté le 3 mars 2021).
4 En ce sens en effet nous pouvons considérer que l'argumentation de l'énonciateur Trump se construit sur un mensonge car le peuple américain ne se réduit pas à une population de cow-boy, même si celle-ci est mythologisée par les romans et le cinéma. Cf. Assaut du capitole : des vidéos chocs dévoilées au procès de Donald Trump : «Aux États-Unis, le procès en destitution de Donald Trump au Sénat permet de mesurer chaque jour toute la violence de la prise du Capitole du 6 janvier 2021. Des vidéos et des enregistrements de conversations entre policiers montrent leur panique face à la hargne des assaillants. » Disponible sur https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/assaut-du-capitole-des-videos-chocs-devoilees-au-proces-de-donald-trump_4294253.html, (consulté le 3 mars 2021).
5 MARC CHEVRIER, Le mensonge, arme de déception massive - Vérité et politique selon Hannah Arendt, 2013 «Les dirigeants ont besoin des médias pour propager leurs mensonges édifiants ; nous devons compter sur une presse vraiment indépendante pour rétablir la vérité des faits occultés par les images gouvernementales ou d'entreprise. La concentration actuelle de la presse est un problème dont on n'a pas encore saisi toutes les graves conséquences pour la démocratie. » Disponible sur https://agora.qc.ca/documents/le_mensonge_arme_de_deception_massive_verite_et_politique_selon_hannah_arendt, (consulté le 7 mai 2021).
6 Les mensonges de Trump, échos des mensonges néolibéraux des années 1980/1990, Disponible sur https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-09-novembre-2020, (consulté le 1 mai 2021).
7 PANIER Louis, « L'Analyse sémiotique d'un texte » in Sémiotique & Bible, n° 81, Lyon, CADIR, mars 1996, p. 5.
8 Anton Tchekhov, CITATIONS JUSTIFIER «Nulle raison ne pourrait justifier le mensonge. » Disponible sur https://evene.lefigaro.fr/citations/mot.php?mot=justifier, (consulté le 1 mai 2021).
9 Coronavirus : Donald Trump sème la consternation avec ses « conseils médicaux. » Disponible sur https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/coronavirus-donald-trump-seme-la-consternation-avec-ses-conseils-medicaux-1198053, (consulté le 2 mai 2021).
10 « Le mensonge est quelque chose de mal, car il nous fait vivre dans l'irréalité, il met les individus dans une situation d'ignorance et d'inexactitude. C'est un manque de franchise qui entraîne une fracture des rapports sociaux. », un débat philosophique sur le mensonge, Disponible sur https://www.educ-revues.fr/DIOTIME/AffichageDocument.aspx?iddoc=96739&pos=1, (consulté le 6 mai 2021).
11 « Interrogé vendredi dans le Bureau ovale sur ses propos qui ont suscité un tollé, M. Trump a assuré qu'il s'était exprimé de façon sarcastique. » Trump, coronavirus et désinfectant : confusion et consternation, Disponible sur https://www.journaldemontreal.com/2020/04/24/combattre-le-coronavirus-avec-du-desinfectant-trump-accuse-detre-irresponsable-1, (consulté le 8 mai 2021).
12Coronavirus et désinfectant : ce que Trump a dit, Disponible sur https://www.bbc.com/afrique/region-52407503, (consulté le 4 mai 2021).
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